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Réquisitionné pour un déménagement, quel vin boire ?

« Pas de nouvelles, bonne nouvelle ». Ce dicton du bon peuple n’a pour moi jamais été aussi vrai qu'après avoir lu le dernier texto d'un ami proche. Celui-ci a pris excuse de notre longue et authentique amitié pour me réquisitionner un dimanche lors de son prochain déménagement. L’ami en question me sait congénitalement asocial et m'évite la plupart des obligations sociales du monde moderne, le plus souvent du moins... Quoiqu'il en soit, c'est dans un inexplicable réflexe de solidarité que je répondis par la favorable à ladite requête.

Rendez-vous est donc pris pour le prochain dimanche. On notera que nous sommes dans une configuration classique avec 8 étages sans ascenseur. Un pur bonheur pour mon dos et leur machine à laver, que sa brave femme aura, je l'espère, pensé à vider. Il faudra aussi faire avec les conseils avisés des professionnels auto-proclamés diplômés en optimisation de place pour camionnette trop petite.


« Nous devrions être assez nombreux » me rassure-t-il… « si toutefois les autres n'annulent pas au dernier moment » ajoute-il à peine audible. En coup de grâce, il requière de ma part d’amener une bonne bouteille pour la pause casse-croute du midi.


Bref, je suis réquisitionné pour un déménagement, et je me demande bien quel vin boire.

L’idée de me départir d’une bonne bouteille pour la partager avec des inconnus lors d’une journée bien merdique me glace le sang. Quelle idée d’avoir des amis… Hagard, je scrute ma cave. Mon chat Marc-Antoine qui a assisté à la scène porte sa patte gauche au devant de sa gueule pour contenir un fou rire dont il sait que je ne saurais tolérer l’expression. Félix, mon fils qui n’a pas évolué en terme d’intelligence, ne peut en faire autant. En retour, il se ramasse une baffe, histoire de lui apprendre le respect paternel. Je fini finalement par trouver l’idoine bouteille.


Chili, 8ème étage, 3ème porte à gauche


Déménagement pour déménagement, c’est au Chili que j’emmène la troupe. S’il n’est pas certain de pouvoir compter sur la fiabilité des autres déménageurs, je réponds pour ma part de la qualité du vin apporté. Mayu – Pedro Ximenez 2014 – Giorgio Flessati sera là pour nous prêter main forte.


Les déménagements sont une succession de montées et descentes, par escaliers ou ascenseur. Notre vin blanc de circonstance se situe également dans les hauteurs. Il faut grimper et suer pour accéder jusqu’à lui. Le Chili propose un des vignobles les plus élevés au monde. Nous sommes plus précisément à 400 km au nord de la Capitale, aux portes du désert d’Atacama dans la Vallée de Elqui à une altitude de 2 000 m environ.


Ici, proche de l’équateur, gardé par l’Océan Pacifique et les Andes de part et d’autre, les microclimats sont nombreux. Le raisin reçoit bon nombre d’UV favorables à sa maturation. Le ciel est clair dans le coin. MAYU est donc un clin d’œil à l’ancien nom Inca pour désigner la constellation Voie Lactée. Le climat chaud et sec des lieux rend l’irrigation indispensable. Mais les nuits sont fraiches du fait de l’altitude et du ciel clair. Cette différence de température assure un développement aromatique lent du raisin et lui procure une bonne acidité.


Historiquement, c’est une vallée dans laquelle on produit du Pisco. Depuis quelques années, la production de vin a fait son apparition. Les cépages stars sont le Sauvignon Blanc et la Syrah. Mais on peut également trouver du Carmenère (cépage rouge très présent au Chili) du Chardonnay et notre Pedro Ximenez (PX pour les intimes) qui a servi à l’élaboration de notre vin. Notons au passage que ce dernier cépage est principalement présent au sud de l’Espagne en Andalousie. Il est utilisé traditionnellement en assemblage avec le Palomino Fino pour l’élaboration du célèbre Jerez. Mais il peut aussi être employé seul pour l’élaboration d’un vin de dessert de Montilla-Moriles. Ce dernier, qu’on se le dise, est juste une délicieuse petite gourmandise.


Pour terminer la présentation rapide des protagonistes du dimanche, signalons que Giorgio Flessati est originaire de Turin. Il donne le coup de pouce à ses deux cousins Aldo et Mauro Oliver bien implantés dans le coin depuis une quinzaine d’années et dignes représentants de la Vallée de Elqui.


Dernier mot enfin pour indiquer que cette bouteille comporte une capsule et non un bouchon en liège. Cela a présentement son importance. En effet, je soupçonne grandement la femme de mon ami d’avoir rangé au fond d’un carton non-identifié l’élément indispensable en toute circonstance : le tir bouchon.


Un petit blanc qui déménage


Vient le moment tant attendu de la dégustation. Visuellement, le vin se présente sous une couleur paille assez intense. Un doigt dans le complexe, un pied dans le délicat, ce vin nous emporte déjà loin avec ses arômes de fleur blanche, d’agrumes (zeste de citron vert) et de poire. Les bienfaits de la fraîcheur se font sentir sur nos corps endoloris par l’effort. Ce PX en bouteille, c’est mieux que Synthol…


Une fois en bouche on découvre que notre ami ne manque pas de caractère. Ici pas de gouaille rustique propres à ces vieux rouges qui tachent. On peut être un « vin de copains » et avoir du style. La bouche se fait ample, assez généreuse avec une matière parfaitement mûre qui affirme sa présence sans tape à l’œil. En support, on retrouve une constante acidité qui assure totalement son rôle d’équilibre et qui contribue à la fraicheur et au croquant ressentis à la dégustation. Le plaisir se complète par la présence savoureuse de fruits blancs, d’agrumes, le tout dans une tonalité générale assez végétale. La finale propose enfin de subtiles notes minérales au travers d’un salin diffus. Cette cuvée reste légère et facile à boire. Elle contraste avec la lourdeur des cartons trop remplis.


La bouteille s’est vidée sans mot dire. A son tour, elle aura fait le job ; celui de nous rafraîchir et de nous procurer un plaisir accessible et franc que l’on aime à partager. Je lis dans le sourire que m’adresse mon pote son remerciement pour ma présence ce dimanche et pour le choix judicieux de ce vin blanc chilien de bien belle facture. Je lui rends son sourire en y glissant un remerciement à Giorgio Flessati pour cette délicieuse réalisation.


Et c'est ainsi que Bacchus est grand !


Médérick Trémaud, Editions Satinvaë, Septembre 2020

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