Résumons-nous !
A quoi servent les Samedis matin ?
« Dormir pour récupérer du stress de la semaine » est une option assez largement partagée chez les gens sensés. « Prendre soin de sa moitié pour enfin lui apporter toute l’attention qu’elle requière » est également en vogue. On se détourne trop souvent de l’essentiel. « Le ménage du logis » arrive également en bonne position dans le palmarès du dernier sondage effectué pour « Vie de Merde magazine ». C’est effarant de voir les conséquences du sens commun.
Ce trio de tête étant rappelé, il convient de ne pas omettre le classique « récupération de colis » à La Poste sans lequel il n’y aurait finalement plus de bonheur terrestre possible. Qui n’a en effet jamais attendu avec enthousiasme ce grand moment de vie ?
Samedi matin, 11 h, cinq guichets dont quatre fermés. 75 personnes faisant la queue dont 60 âgées de plus de 80 ans venant pour l’achat de timbres. Que celui ou celle qui ne voit qu’exagération dans mon propos me donne sur le champ son adresse. Je déménage et je viens m’installer dans sa commune car nous n’avons visiblement pas le même bureau de Poste.
Réfléchissons, il serait en effet ballot d’organiser des livraisons de colis quand les gens sont chez eux. Cela priverait en grande partie les citoyens de cette animation du Samedi matin. Rendre service aux gens à un moment ou justement cela les arrange ; quelle idée saugrenue tout de même. Révolution pour un monde d’après, où es-tu ?
Denis, mon colocataire rhinocéros m’a justement laissé la charge d’aller récupérer un colis pour lui. Il a commandé sur un nouveau site animalier une poudre-boisson énergisante pour la salle de sport. Il y en a pour 500 € je crois mais surtout pour 10 Kg. J’avoue rester dubitatif devant la chose. Me voilà armé de sa carte d’identité et d’une procuration pour récupérer le précieux sésame. Il me manque cependant l’essentiel : le courage et la motivation.
J’ai pris la peine de bien visualiser sur le bordereau laissé par le préposé le lieu où est entreposé le colis. La chose varie assez fréquemment et les surprises sont légions en la matière. Epuisés, plusieurs y ont déjà laissé leur vie devant tant d’acharnement à mettre en forme l’incohérence.
Je sais qu’il va me falloir surmonter d’innombrables obstacles. A commencer par cette queue qui serpente et qui s’avère être d’une longueur interminable. Quand enfin arrivé aux portes du graal, l’angoisse se fait jour. La peur que le colis ne soit pas là, perdu ou endommagé.
Cette perspective du samedi matin m’accable. Je suggère à Denis de préparer une bonne bouteille pour mon retour. J’aurai probablement laissé dans l’épreuve de l’énergie, des neurones, une vie… Il me faudra donc impérativement un remontant pour me réanimer. Mais quel vin boire ?
No Spain No Gain
Pour l’occasion partons en Espagne, dans le nord-ouest du pays, en Galice au sein de l’appellation DO Valdeorras. Une Do c’est comme une AOC, mais cela sonne Espagnol. Cette petite précision juridico-sémantico-culturelle faite, il convient de s’attarder une peu sur notre vignoble de circonstance.

Nous sommes sur le chemin de Compostelle. Notre affaire du samedi matin est aussi un véritable chemin de croix. Il nous a fallu passer bien des obstacles, franchir bien des cols pour arriver à demeure. Ici le vignoble est à environ 700 m. Il est plus chaud que le reste de la Galice qui passe pour être une région humide, verte et relativement fraîche. Historiquement, la région est pauvre. L’immigration est alors importante. On va chercher meilleure fortune sous d’autres horizons.
Dans les années 70, on commence à replanter des cépages autochtones. Le Godello fait partie de ceux-ci. Il est bien souvent comparé au Viognier mais avec peut être un peu plus de fraîcheur. C’est un très grand cépage blanc d’Espagne, un des plus qualitatifs.
Notons également que ce coin du pays est aussi célèbre pour sa production d’ardoise ; (environ 90% de la production du vieux continent). Cela tombe plutôt bien car l’ardoise que Denis me devra après cette course sera bigrement consistante.
Originaire de La Rioja, Palacios est une famille de vignerons particulièrement célères et talentueux en Espagne. Rafael s’est mis un jour en tête de faire des grands vins blancs. Il décida alors d’émigrer en Galice. Long périple s’il en est. On connaît ça avec la Poste. En 2004 le voilà sur place. Il croit au terroir, à la culture et aux traditions des lieux. Les parcelles se construisent petit à petit. Les murets de pierres s’érigent à grand renfort de volonté, de détermination et de dur labeur. Les vignes sont plantées judicieusement et entretenues avec soin évidemment. Rien n’est laissé au hasard. Mais cela n’empêche pas la technique. Le cuvage est tel un bloc chirurgical dernier cri. En arrivant au guichet pour récupérer son colis, le client passe souvent proche de l’évanouissement.
Un grand blanc au guichet
Cette cuvée 2018 n’est pas un millésime facile. Pluie et une maladie telle le mildiou ont été particulièrement abondantes dans le vignoble. Mais les difficultés, on sait les gérer chez les Palacios.
Notre cuvée est de couleur jaune plutôt paille avec quelques reflets verts, témoins de jeunesse. Le jaune du logo postal est plus flashy c’est certain. On peut le dire simplement, la robe de ce vin est superbe. Elle habille la carafe qui l’accueille avec aisance et grâce. La mode à l’espagnole est tendance.
Verres remplis, on entreprend la découverte des arômes avec gourmandise. Ils chantent, ils dansent, ils s’expriment avec enthousiasme et juvénilité. Quelques notes de fruits exotiques de grande finesse. Un surlignage de zest de citron avec une pointe de fenouil. L’intensité ne se départit pas d’une remarquable fraîcheur. L’accueil est chaleureux, l’accent chantant et fleure bon la joie de vivre des gens du sud. Nous sommes bien loin de la voix de l’agent rendu inaudible par un hygiaphone et qui devrait être à la retraite. Il a largement dépassé les 55 ans.
La découverte se poursuit par un vin qui propose volume, richesse et profondeur. Il puise son énergie dans ses racines, son terroir. Voilà un bijou d’élevage et de précision. Effectué en foudres, ce dernier est parfaitement intégré. Il accorde une juste structure à notre délicieux nectar. Notons cette tension, cette minéralité saline qui confine au divin et qui s’installe dans une longueur qui nous emmène à des sommets.
Voilà un très grand vin blanc qui nous est offert ici. Je laisse donc à Denis sa poudre énergisante. J’ai pour ma part trouvé mieux.
Et c’est ainsi que Bacchus est grand.
Médérick Trémaud, Editions Satinvaë, Août 2020