Quelque part sur Amilenon…
Bien loin de l’agitation des grandes cités, la nuit était tombée depuis longtemps sur cette partie oubliée du monde. Le vent froid du Nord balayait les forêts de pins centenaires dont les cimes étaient éclairées par la seule lumière des étoiles distantes. Les pics rocheux des montagnes environnantes veillaient tels d’immenses anges gardiens sur l’intense vie nocturne des milliers de bêtes peuplant ces contrées boisées. Selon la place que Dame Nature avait bien voulu donner à chacun de ces êtres dans la chaîne alimentaire, l’heure était à la chasse ou à la recherche assidue d’un refuge pour la soirée. Le sol résonnait ainsi sous les milliers d’animaux courant, rampant et sautant au milieu des bosquets.
Non loin de tout ce tumulte discret, au bord d’un sentier abandonné, autrefois emprunté par les populations locales, le promeneur attentif aurait pu distinguer un lapin gris, immobile au milieu des herbes hautes et du bois mort éparpillé. Apparemment épargné par les basses préoccupations de survie de ses congénères, le petit rongeur mastiquait nonchalamment un épais bout de feuillage. Son grignotage terminé, il entreprit de trouver un lopin de terrain où l’herbe pourrait être plus grasse et ainsi fournir une suite décente à son repas. Bondissant agilement sur le chemin désert, le lapin trouva finalement son bonheur sur une petite parcelle coincée entre trois énormes rochers formant une caverne à ciel ouvert. Calé bien au fond de ce havre de paix et de délice, il continua son festin.
Une lumière intense déchira soudain l’obscurité paisible et aveugla l’animal, envahissant brièvement son esprit d’une terreur sourde. L’éclat se tamisa, permettant ainsi à l’œil du petit mammifère de se familiariser avec cette clarté inhabituelle. La violence de l’apparition avait fait place à une vibration douce et ronflante qui ondulait légèrement le paysage alentour. La panique estompée et la curiosité reprenant le dessus sur l’appréhension, le lapin sortit de sa torpeur. Il contourna le bout de rocher qui obstruait sa vue et masquait ainsi la source de l’éclat qui devenait de plus en plus hypnotisant. A quelques encablures de là, un tapis de lumière coloré et majestueux venait s’engouffrer derrière une congrégation épaisse d’immenses conifères. Tous les sens à présent en éveil, le rongeur s’approcha encore un peu plus et bondit d’un coup au-devant du sapin le plus proche. L’image que ses rétines imprimèrent fut la dernière avant que son monde ne basculât dans le noir total.
Vincent T. Morvan, La Quête d'Amilenon, Éditions Satinvaë, Avril 2014