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Les Voyages de Romain - Chapitre 4

Le lendemain, Cristi découvrit le terrain de sport de Grizinkalns en notre compagnie. Le basketteur et sa sœur s’échinaient à finaliser les préparatifs pour le tournoi du jour. Les voyant courir aux quatre coins du terrain, Janis leur proposa que nous les aidions. Le Letton et Milot s’occupèrent de l’accueil des équipes pendant que Cristi et moi positionnions pléthore de banderoles publicitaires sur tout support qui pouvait en héberger une. Nos adversaires du jour commençaient à investir le terrain pour s’échauffer tandis que nous restions à nos postes, heureux de faciliter le travail des amis de Janis. De toute façon, notre premier match ne devait se dérouler que quarante-cinq minutes plus tard et nous n’avions pas besoin de discuter longuement pour nous organiser. Janis, Cristi, Milot et moi avions joué de nombreux matchs ensemble en France. Ces multiples heures partagées sur des terrains de football nous avaient d’ailleurs permis de comprendre que nous serions certainement plus que de simples coéquipiers.


Le souvenir de notre premier échange footballistique était encore vivace. En début d’année universitaire, un groupe de joueurs de mon université affronta des étudiants étrangers. Milot, Cristi et Janis, qui s’étaient rencontrés quelques jours plus tôt lors de cours de français pour débutants, se trouvaient dans l’équipe adverse. Du moins, c’était l’idée initiale. Puisque bien entendu, comme à chaque fois, un joueur fit faux bond au dernier moment et mon arrivée récente dans l’équipe de ma faculté m’incita logiquement à faire le nombre avec les étrangers. Pour la première fois, mes trois camarades et moi nous retrouvions ensemble sur un terrain de futsal.


Contrairement au football, le futsal laisse très peu de places à l’improvisation. Il s’agit là d’une réelle mécanique, d’un collectif où les quatre joueurs de champ doivent bouger les uns par rapport aux autres, se comprendre en une fraction de secondes par rapport à une situation en perpétuelle évolution. Et il est honnêtement très rare que vous puissiez trouver une harmonie quand vous jouez pour la première fois avec des inconnus. Une même compréhension et vision du jeu. Cependant, la magie opéra cette fois-ci. Quelques minutes suffirent pour que l’on évolue les uns pour les autres, dans une sorte de ballet qui aurait dû nous prendre des heures et des heures d’entraînement à coordonner.

La magie d’une rencontre sans doute. Quatre pièces hétérogènes avec chacune ses qualités et ses défauts mais mises bout à bout, elles formaient un ensemble d’éclat, nous formions un ensemble d’éclat. Une véritable équipe. Cela fut une évidence pour chacun de nous dès cette première heure de jeu. Et bien d’autres suivirent, que ce soit en jouant à cinq ou à sept. Avec souvent la même réussite même s’il nous était difficile d’intégrer des éléments extérieurs dans notre mécanique fluide.


Le tournoi en Lettonie commença tranquillement. Deux belles victoires. Comme d’habitude, chacun tenait son rôle. Milot était notre buteur, doté d’une technique et de qualités physiques très au-dessus de la moyenne qui lui permettaient de dribbler aisément deux ou trois adversaires dans un petit espace. Je le connaissais bien maintenant mais j’étais toujours épaté par sa faculté à éliminer ; à de multiples reprises, je pensais le ballon perdu mais il avait cette capacité à rebondir d’un appui sur l’autre pour rester toujours maitre du ballon et de sa destinée. Janis et moi occupions les positions plus défensives. Le Letton était un joueur très propre, calme ; de ceux que l’on ne voit pas vraiment sur un terrain mais qui sont indispensables. Et une vraie sangsue en un contre un. Mais il fallait être honnête, comme souvent, Cristi était le liant entre nous quatre, celui qui adaptait sa position et sa manière de jouer selon les circonstances et nos possibilités du moment. Techniquement, il n’avait rien à envier à Milot mais il disposait en plus d’une intelligence de jeu que je n’avais jamais vu, si bien que même en futsal où les espaces et le temps étaient réduits, il voyait avant, il savait avant.


Quand nous ne jouions pas, le Roumain se mettait à l’écart pour regarder les autres matchs. La perspective de mieux connaître nos adversaires ne le motivait pas tant que son simple amour du jeu. Parmi nous quatre, il était sans doute le plus passionné par le football. Il avait développé au fil du temps une manière d’appréhender ce jeu et une relation avec celui-ci qui n’étaient pas communes, comme il nous la livra limpidement un jour : « Une bonne passe est le meilleur passeport à l’étranger. J’ai un peu voyagé, connu quelques pays. J’ai fait partie de groupes où nous ne parlions pas la même langue. Et partout, le football fut un vecteur idéal pour créer les premières relations. Je ne suis pas certain que tu puisses marquer quelqu’un à travers une première conversation, du moins je n’ai pas cette capacité, mais je sais bien qu’un gars se souviendra toujours de la première passe que tu lui offres sur un terrain. »