"La nature nous offre à bien des égards des surprises et des leçons ! La rencontre avec une de ses créatures peut se révéler très désastreuse, et pourtant…
Il était une fois une dame, un peu lente, qui se prit les pattes dans un fil alors qu’elle tentait de rejoindre sa famille. Et oui, quelqu’un qui se pensait bien intentionné l’avait déroutée sur son trajet ! Il était vrai qu’elle attirait la sympathie, mais entre sympathie et moquerie, il n’y avait qu’un saut d’un lièvre à franchir ! Sa lenteur suscitait de l’apitoiement, voire de l’agacement, mais elle allait à son rythme, elle prenait son temps, et vous auriez tort de croire qu’elle lambinait !
Je voudrais bien vous y voir, vous, portant votre maison sur le dos !
Elle était pataude, certes, et elle manquait de précision. Mais elle l’assumait et ne ressentait aucune culpabilité !
Elle était empêtrée et nulle autre congénère pour l’aider puisqu’elle était en chemin pour les retrouver.
Elle réfléchissait donc à une solution. Et celle- ci ne se fit pas attendre.
Elle avait trouvé !
C’était un étrange fil qui se présentait à ses pieds, un fil qui se mangeait, un fil de soie…
Alors qu’elle tentait désespérément de le ronger avec son bec, le fil se mit à bouger dans tous les sens ! Elle avait l’impression d’être sur un bateau au cœur d’une tempête ! Elle perdit le contrôle de la situation ! Sur le dos, les pattes prisonnières, elle n’avait plus de solution ! Elle rentra alors la tête dans sa tanière… et attendit.
Soudain, elle fut soulevée, retournée, manipulée. Sa lanterne s’éclaira. Elle comprit ! C’était un piège, elle allait être dévorée !
- Bonjour toi ! dit une voix joyeuse et dansante.
- Bonjour, bonjour…, ronchonna la maison ambulante. Cette petite voix est bien gentille, mais en ce moment, j’aurais bien besoin d’avoir la tête à l’endroit !
- Je suis sincèrement désolée, et te présente toutes mes excuses ! continua la voix attristée.
-
Oh là là, ça sent vraiment le piège ! songea la tortue, de plus en plus inquiète. Elle croit que je vais me laisser berner par sa gentillesse celle-ci ?
- Te voilà à nouveau libre ! murmura la voix satisfaite en déposant tout doucement l’animal au sol. Je ne pensais pas que mon chemin pouvait bouger autant et devenir un lasso ! précisa-t-elle, se rendant compte des conséquences d’un ton mi-figue mi- raisin.
- Et voilà que ça recommence ! maugréa le bouclier vivant. Encore un être humain qui découvre les choses de la vie !
Elle sortit cependant la tête de son logis…
***
Elle avait en face d’elle une petite fille en salopette, avec de drôles de chaussettes ! Cette petite devait être bien étourdie, ce matin à son réveil, car elles n’étaient pas du tout pareilles ! Mais le plus beau était une broche accrochée sur le cœur, un délicat bijou de pierre et d’argent, une jolie luciole étincelante…
- Bonjour jeune fille ! dit la tortue. Effectivement, je me suis bien emberlificotée dans ton fil ! Je n’ai pas chance, il y a toujours quelqu’un qui m’empêche de faire ce que je veux !
- Mais, tu parles ! s’écria la fillette éberluée.
- Oui je n’y peux rien, c’est plus fort que moi ! se radoucit la carapace.
- Incroyable ! Je suis bien contente d’avoir sauté de joie sur mon fil ! répliqua la petite fille, heureuse de sa découverte.
- Merci bien ! Mais moi, en attendant, ta joie, elle me ralentit ! poursuivit la plaintive.
- Pourquoi t’es toujours en train de ronchonner ? fit remarquer la gamine.
- Comment ça je ronchonne ! Je ne ronchonne pas, je dis ce que j’ai dans la tête !
- N’empêche que tu ronchonnes ! bredouilla la petite.
- C’est plus fort que moi ! Et de toute façon, les autres m’appellent la bougonne ! C’est donc bien ce que je suis, non ? avoua l’animal, convaincu de cette vérité.
- Et bien, moi, depuis que j’ai fait un rêve où il y avait un arc –en –ciel, je sais comment me faire du bien ! Et depuis, j’ai plein de bulles dans mon corps ! partagea la rêveuse avec enthousiasme.
- Et moi, à l’intérieur de moi, j’ai parfois l’impression d’avoir une pierre à la place de mon cœur… admit la tortue avec beaucoup de tristesse.
- Je te vois triste maintenant, confia la petite d’une voix bienveillante.
- Oui, j’ai la sensation que mon cœur est dur et gros, comme s’il n’y avait pas suffisamment de place pour lui ! répondit la malheureuse.
***
La petite fille eut peur en entendant ces mots, cela lui semblait bien douloureux ! Elle se sentait coupable de lui avoir montré sa joie. Sa spontanéité enfantine lui avait joué un tour ! Et toutes ses bulles avaient disparu ! Elle se sentait triste ! À l’intérieur d’elle, c’était tout serré ! Comme paralysée, et ne sachant pas quoi faire pour aider la souffrante, elle toucha sa jolie broche … Alors, elle se souvint de l’arc- en- ciel… Une mémoire enfouie brilla comme une étincelle ! Un vieux monsieur, plein de sagesse et de gentillesse, s’offrit à ses yeux. Elle se rappelait à présent la douceur de sa main, ses habits, sa bonhomie et son air taquin. Toute à ses souvenirs, une onde de chaleur commença à se répandre dans son corps. Elle se sentait à nouveau rassurée et en confiance. « Fais- toi juste confiance » lui avait- il dit, tout en douceur. Oui, c’était cela ! Elle n’était en rien responsable de la douleur de la gentille créature. Sa mauvaise humeur était déjà là, bien avant leur rencontre, puisqu’on l’appelait la bougonne.
Encore dans ses pensées, elle sentit une odeur de lavande. Elle se retourna, et vit la vieille dame en train de mâchouiller un brin de lavande, paisible, assise sur un rocher. Étonnée, elle s’enquit alors de sa santé :
- Tu n’as plus mal ? interrogea- t- elle avec appréhension.
- Crois-tu que je serais tranquillement assise sur cette caillasse si je subissais d’affres douleurs ? La lavande a beaucoup de pouvoirs bienfaisants, mais quand même ! Figure-toi que plus je décrivais ce que je ressentais plus la douleur diminuait ! Un véritable flot de sensations ! Et à la fin, plus rien ! Maintenant la pierre, c’est elle qui me supporte ! conclut-elle en riant. »
***
La cabane à quatre pattes n’en était pas revenue. La demoiselle, du haut de sa jeunesse et de son innocence, lui avait appris une leçon de vie, à elle, qui bientôt allait souffler ses quatre-vingts bougies ! La plupart du temps, c’était elle qui conseillait. C’est pour cela qu’on venait la visiter… Mais contrairement à grand nombre de ses rencontres, cette petite ne l’avait nullement jugée ou rejetée. Elle l’avait acceptée telle qu’elle était : « bougonne » ! D’ailleurs, il serait temps d’enlever cette étiquette non ? C’était les autres ! Ceux, qui l’avaient élevée et qui l’entouraient depuis qu’elle était toute petite, qui lui avaient donné ce surnom. Dans la vie, certaines choses étaient lourdes à porter…
Chacune avait repris sa route. Comme une danseuse faisant des entrechats, la petite fille en salopette chantait et dansait à nouveau sur son chemin de soie. Chacun de ses pas était plus sûr. Elle se sentait aussi plus solide dans son corps, à l’image du chêne sous lequel elle aimait se réfugier.
Quant à notre vieille amie, elle contait son expérience à ses proches. À quoi cela aurait-t-il servi, si cela ne servait pas aux autres ?"
Sophie Maumet - Sur un fil de Soie EDITIONS SATINVAË
