Zebra
Jaraye dut marcher encore de longues minutes avant de trouver une ruelle sombre dans laquelle il pouvait s'y glisser. Le chahut du festival semblait étouffé au moment où le jeune homme se fondit dans l'ombre. Là, il retira le masque usé qu'il portait et mit le tout nouveau qu'il venait d'acheter. Celui-ci se colla à sa peau, s'insérant dans son visage jusqu'à disparaître complètement. Ce type de masque ne cachait pas le visage de leur propriétaire, seulement leur aura et leurs véritables émotions.
C'était tout ce dont avait besoin Jaraye.
Il sortit de la ruelle et se laissa guider par le mouvement de la foule. Il atteignit bientôt un pont en marbre blanc, traversant une rivière aussi bleue que des flocons gelés. Sur celui-ci, il y avait quelques musiciens qui attiraient les passants par leur art, mais le plus gros de la masse continua son chemin avec empressement. Après tout, ils étaient bientôt là, et il fallait absolument les voir.
Après avoir traversé et marché pendant quelques minutes, tous s'arrêtèrent en face d'une tour d'ivoire, en train d'observer un balcon. Celui-ci était fait de filaments du soleil et de taches de la nuit, et il était assez grand pour qu'une vingtaine de personnes puissent s'y installer. Puis enfin, derrière un rideau au tissus de rivière, ils sortirent à la vue de tous. Des acclamations de joie et d'admiration couvrirent leur entrée tandis que chacun d'eux prirent place sur un fauteuil.
Il s'agissait des enfants de Soleil et de Lune, leur deux souverains. Ils avaient hérité de l'aura flamboyante de leur Mère et de la beauté étincelante de leur Père. N'importe qui en posant le regard sur eux les reconnaîtrait, et cela, sans même savoir à quoi ils ressemblaient. Il y avait l'aîné Crépuscule, la cadette Éclat, Solstice, qui tenait une discussion animée avec Aube, sa jumelle Aurore, la belle Céleste. Et enfin, le dernier-né, Éclipse.
C'était celui-ci que Jaraye scrutait avec attention, et ce jusqu'à ce qu'il descende son regard sur lui. D'habitude, on ne pouvait voir le regard du Prince à cause de la capuche noire qu'il portait où des oreilles de panthère y était accrochée. Mais là, le jeune homme pouvait voir ses yeux de rubis qui se mélangeaient dans des étincelles de feu. Jaraye baissa aussitôt la tête, essayant de se faire discret. L'avait-il reconnu ? Il n'espérait pas. Sinon à quoi bon avoir acheté ce masque pour trois souvenirs ?
Mais alors qu'il changeait de place, pour plus de prudence, il fut témoin d'une scène bien étrange. Devant lui, une jeune fille se battait verbalement avec un garde qui protégeait la porte de la tour.
– Je dois absolument rentrer ! annonça-t-elle d'une voix féroce.
– Et moi je vous dis que vous ne pouvez pas entrer comme ça sans invitation !
Cette jeune fille avait des cheveux lunaires attachés, un teint cuivré et des yeux de la couleur des nuages lorsque vint l'orage. Par ailleurs, divers éclairs allèrent percuter le garde qui lui, ne s'en préoccupa pas, lui interdisant toujours l'entrée. Elle fut finalement contrainte de reculer lorsque le tatouage de puma sur le bras du garde commença à se mouvoir et à apparaître devant elle, grognant de mécontentement. Il était vrai que les chevaliers de la Garde Écarlate, qui avait également pour mission de protéger la Famille Royale, possédaient tous un tatouage pouvant prendre forme.
Vaincue, le regard de la jeune fille se posa sur Éclipse.
Et cette fois, ce fut pire.
Ce n'était pas seulement un orage dans ses yeux, mais une véritable tempête. Compact, brumeux, sombre, foudroyant, un mélange de gris et de noir qui se mouvait dans une danse endiablée avec quelques fois, des éclaircies bleues et oranges qui apparaissaient dans ses iris. Mais même sans ce regard, son visage fermé démontrait toute la rancœur qui l'animait.
Une chose était claire, elle en voulait beaucoup à Éclipse.
De plus, Jaraye avait l'impression de l'avoir déjà vu. Si elle n'avait pas peur de se montrer face à un Prince, surtout avec une telle hostilité, c'était qu'elle devait appartenir à une famille importante.
Peut-être avait-il déjà vu son portrait quelque part ?
Il s'approcha alors qu'elle quittait la foule, ruminant de colère. Elle voulut l'éviter lorsqu'il se mit devant elle, ne lui jetant pas même un regard, mais Jaraye la rattrapa par l'épaule. Comme s'il s'agissait d'un réflexe, elle s'empara de sa main, tourna son poignet, et l'envoya par-dessus elle avant de le mettre à terre.
– Ça fait mal ! cria Jaraye en sentant sa tête tourner.
– Un conseil, laisse-moi tranquille, je ne suis pas d'humeur.
Puis sans rien ajouter, elle continua son chemin tandis que Jaraye se releva péniblement. C'était l'inconvénient avec ce masque, personne ne faisait attention à lui et personne ne le trouvait assez intéressant pour lui parler. Mais loin d'abandonner, il courut en sa direction. Elle le regarda comme si c'était la première fois qu'elle le voyait. Ils marchèrent donc ensemble, la jeune fille ne prêtant pas attention à lui. Celle-ci s'arrêtait à diverses stands et boutiques en demandant toujours la même chose ; un moyen d'approcher le Prince Éclipse, sans grand succès. Au bout d'une heure, elle se tourna enfin vers Jaraye, les sourcils froncés et les poings sur les hanches.
– Je rêve ou tu me suis ? accusa-t-elle.
– Tu ne rêves pas, je te suis bel et bien.
Les nuages dans ses yeux s'assombrirent de méfiance.
– Je suis pressée au cas où tu ne le savais pas. Alors dis-moi rapidement ce que tu veux.
– Tu cherches un moyen de t'approcher d’Éclipse ? Si c'est le cas je connais quelqu'un qui peut t'aider.
L'indifférence qu'elle éprouvait alors fut balayée dans un coup de vent. Une mince éclaircie apparaissait dans ses yeux avant qu'ils ne deviennent plus foncés.
– Vraiment ? De qui s'agit-il dans ce cas ?
Elle ne le croyait pas, mais en même temps, elle semblait si désespérée qu'elle était prête à l'écouter. Jaraye lui dit donc de le suivre et tous deux reprirent leur route dans la direction opposée.
– Je m'appelle Jaraye, se présenta-t-il.
– Zebra, dit-elle avant d'ajouter, de la famille Ouranos.
Donc il avait raison, sa famille était bien importante. Les Ouranos étaient une famille de maîtres d'armes, extrêmement puissante et dont la force et les techniques de combat les avaient élevé d'un rang de Vassal jusqu'à celui de Seigneur, le plus haut gradé juste après les souverains eux-mêmes.
Zebra n'avait pas révélé son nom complet avec fierté ou orgueil, mais plutôt comme s'il s'agissait d'un sujet dont elle ne voulait pas parler, aussi Jaraye demeura silencieux.
Emma Derrien, Editions Satinvaë, Juin 2023