La perle-à-souhait
Ils entrèrent dans une rue remplie de stands desquels de délicieuses odeurs s'échappaient. Jaraye savait qu'il le trouverait ici, en train de contempler les différents mets proposés. Il l'aperçut enfin, comptant ses pièces pour voir s'il en avait suffisamment pour une pâtisserie. Un nytcha petit de taille, qui semblait trop jeune malgré son véritable âge, à la peau blanche et sucrée, aux cheveux couleur craie bifurquant à l'arrière de sa tête et aux yeux vermeils. Sur sa tête, deux oreilles de renard blanc. Il possédait également une queue à la pointe argentée qui dépassait de sous son manteau de soie aux manches amples.
Il portait sur son dos une boîte munie de trois tiroirs et où un masque de renard et de démon y étaient accrochés.
– Vermillon ! appela Jaraye.
Le nytcha se tourna vers lui, le cherchant du regard pendant un instant sans le trouver.
– Je suis là, précisa le jeune homme.
– Pardon, mais tu es...
– Jaraye.
– Oh ! Je ne t'avais pas reconnu. Ça fait longtemps gamin. Et qui est-ce ? demanda-t-il en désignant Zebra.
– Une amie...
– Connaissance, rectifia-t-elle.
– Connaissance qui chercherait un moyen de s'approcher du Prince Éclipse.
Peux-tu nous aider ?
Vermillon plissa des yeux en regardant longuement Zebra. Son regard se posa ensuite sur Jaraye avant de retourner sur la jeune fille.
– Tu es la fille aînée des Ouranos, non ? Ton visage est plutôt connu. Même si ta famille est certes redoutable, je te conseille de ne pas chercher querelle avec la Famille Royale. Enfin, ce ne sont pas mes affaires, et si tu as de quoi payer, je t'aiderai volontiers.
– Tu connais vraiment un moyen de m'approcher du Prince ?
– Ça ne se voit peut-être pas, mais j'ai de longues années d'existence derrière moi, donc oui, je connais un moyen.
Zebra sembla hésiter mais finit par accepter. Là, Vermillon la conduisit dans diverses stands pour qu'elle lui achète toutes sortes de friandises. Chocolat, pâtes-d'amande, sucreries en forme d'animaux, Jaraye ne pouvait s'empêcher d'en acheter quelques-unes également pour les déguster en chemin. Mais alors que lui s'amusait, Zebra perdit patience à la douzième boutique et attrapa Vermillon par le col.
– Je pense t'en avoir suffisamment offert non ? tonna-t-elle.
– Tu es sûre ? Même pas pour une... OK, OK, c'est bon, je vais te donner ce que je te dois.
Et en prenant une autre direction, Vermillon les amena cette fois-ci sur une place moins bondée, au pied d'un large escalier de pierre.
– En haut se trouve le Collectionneur, j'ai entendu dire qu'il avait récemment reçu une perle-à-souhait.
– J'en ai déjà entendu parler, dit Jaraye. Mais je pensais que seul Solstice pouvait en fabriquer.
– À mon avis, ce Prince a dû la perdre tout en se moquant de savoir ce qu'elle deviendrait.
Le ton de Zebra était méprisant, confirmant à Jaraye le fait qu'elle n'aimait pas les Princes, et en particulier Éclipse.
– Donc tu prends la perle et tu l'utilises pour souhaiter voir le Prince, explique Vermillon.
– Qui dit que le Collectionneur ne l'a pas déjà utilisé ? interrogea Jaraye.
– Une fois le vœu formulé, la perle disparaît, ce serait du gâchis pour un grand collectionneur.
Le jeune homme était pensif avant de se tourner vers Zebra qui elle, semblait complètement perdue dans ses pensées. Dans ses yeux flottaient un nuage de pluie triste et mélancolique.
– Cette perle, dit-elle doucement, est-elle capable de ressusciter les morts ?
– Malheureusement non, il y a toujours une limite.
Zebra hocha la tête, comme si cela faisait des années qu'elle avait accepté cette réponse. Puis elle monta les marches une par une, Jaraye à côté d'elle.
– Tu as perdu un être cher ? demanda-t-il.
– Fais comme si tu ne savais pas.
– C'est vrai ! Et puis, je préfère entendre la réponse de ta part plutôt qu'écouter les rumeurs.
Zebra resta silencieuse, ne lui lançant pas même un regard tandis qu'elle continuait. Jaraye n'insista pas, restant lui aussi silencieux.
Ils atteignirent une porte sculptée dans la montagne à la roche pourpre et violette. Cette porte était encadrée de sept arches qui grossissaient toujours plus et possédait sur sa surface bleu-nuit des filaments argentés traçant des constellation.
Non, pas des constellation, mais plutôt des toiles d'araignée.
Pendant que Zebra observait la porte avec attention, comme si elle avait devant elle un poison mortel, Jaraye s'approcha et fit teinter la clochette devant lui.
– Mais qu'est-ce qui te prends ? se fâcha-t-elle.
– Il faut bien entrer.
– On s'apprête à voler un objet, alors je pense que le mieux à faire est de...
Mais Zebra n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'un homme leur ouvrit. Grand, mince, séduisant avec son visage fin, il avait l'allure du parfait gentilhomme élégant et délicat que tous rêveraient de recevoir à sa table. Ses cheveux gris clair contrastaient avec sa peau bronzée et étaient coiffés d'un chapeau du même bleu-nuit que l'ensemble de ses vêtements. Il avait des yeux rosés, auréolaient par quelques reflets jaune, et un sourire qui était plus énigmatique qu'aimable.
– Bonjour Mademoiselle, salua-t-il en lui baisant la main. Pardonnez-moi si je me trompe, mais ne seriez-vous pas Zebra Ouranos ?
Jaraye se sentit un peu honteux. Il était vraiment le seul à ne pas avoir su qui elle était du premier coup d’œil.
– En effet, répondit-elle. Nous... nous venons pour visiter votre collection. Nous avons entendu tant de choses sur celle-ci qu'on aimerait grandement la voir de nos propres yeux.
– Vraiment ? s'écria-t-il comme un enfant tout heureux. Sachez que rien ne pourrait me faire plus plaisir. Normalement, je n'ouvre pas ma porte à n'importe qui, il y a trop de voleurs dans les parages vous comprenez ? Mais pour vous, je veux bien faire une exception. Au fait, permettez-moi de me présenter, mon nom est Lucain.
Une fois qu'ils furent entrés, Lucain ne cessa de parler à Zebra qui elle, se contentait d'écouter en hochant parfois la tête et en souriant. Elle profita que le Collectionneur s'éloignât d'eux afin de se rapprocher d'une peinture pour chuchoter à Jaraye :
– C'est normal qu'il ne s'adresse pas du tout à toi ?
– Il préfère parler avec toi.
– Mais il fait comme si tu n'existais pas. Ça ne t'énerve pas ?
– En réalité, c'est normal. Je porte un masque de l'insignifiance, c'est pour ça que j'ai moins de présence que d'ordinaire.
– Un masque de... mais pourquoi...
Un orage tonnait dans son regard, et Jaraye se demanda s'il avait bien fait finalement de le lui révéler.
– Peu importe, dit-elle sèchement. Puisqu'il ne te voit pas, profites-en pour trouver cette perle.
– Et le mot magique ?
Regard foudroyant de sa part.
– T'es vraiment pas marrante, soupira-t-il en s'en allant.
Emma Derrien, Editions Satinvaë, Juillet 2023