Premiers symptômes
Le caporal Romain Hantoni, en permission chez lui en banlieue parisienne, se reposait sur son canapé un bras sur les yeux pour se couper de la lumière ambiante. Il s'était occupé de sa vieille mère malgré sa fièvre et ses courbatures, car elle n'était plus en mesure de se lever seule. Tentant d'ignorer les maux de tête, il toussait de temps en temps en maudissant intérieurement les transports en communs et leurs microbes, et en priant pour que le cachet de paracétamol qu'il avait ingurgité fasse vite son effet. En quelques heures pourtant, la fièvre était dangereusement montée. Et il fut étonné de constater qu'il était essoufflé sans avoir bougé d'un pouce. Dans l'état où il se trouvait, il ne pouvait conduire pour se rendre chez le médecin ou à l'hôpital, et il répugnait à faire venir les pompiers pour le transporter. Sans parler du fait que l'un dans l'autre, il se refusait à laisser sa mère seule - qui ne pouvait se débrouiller sans l'aide d'un tiers - avant le retour de sa sœur, le lendemain. Il décida donc de patienter en continuant sa cure de paracétamol. Cependant, dans la nuit, sujet à d'abondantes suées, et a une importante difficulté à respirer, il se saisit du téléphone fixe, qu'il avait gardé à côté de lui, pour appeler les secours. Tandis qu'il composait le quinze, de violentes douleurs à l'abdomen l'assaillirent, lui faisant perdre connaissance.
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Le lendemain matin, la sœur du caporal Hantoni remonta l'allée du pavillon familial en sifflotant après avoir ramassé le courrier. Elle introduisit sa clé dans la serrure de la porte d'entrée mais fut étonnée de constater qu'elle n'était pas fermée. La jeune femme fit pivoter la poignée et entra en annonçant son retour à la cantonade. Elle ne trouva personne à la cuisine, ni au salon, se faisant la réflexion que son frère devait encore dormir dans sa chambre à l'étage. Sa mère devait l'attendre gentiment dans son lit pour se lever. Grimpant les escaliers quatre à quatre, elle fonça vers la pièce au bout du couloir, dont le battant était toujours ouvert pour entendre les appels de la dame âgée en cas de besoin. Penché sur leur maman, Romain lui tournait le dos. Elle ne comprit pas pourquoi il avait la tête posée sur son ventre, pas plus que les drôles de bruits qu'il faisait. Quand elle l'appela, il se redressa d'un geste vif. Ses yeux étaient tous blancs, son visage et sa bouche couverts de sang, de morceaux rouges et gluants. Elle vit le trou béant dans l'abdomen de sa pauvre mère, les entrailles et les boyaux à moitié déchiquetés qui en jaillissaient. Romain grogna comme un animal enragé et fondit sur elle alors qu'elle hurlait, clouée sur place par la terreur.
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En début d'après-midi, Kévin, le jeune voisin de la famille, sortit de son propre pavillon pour aller effectuer ses travaux habituels de jardinerie chez la mère Hantoni. Il sonna à la porte, mais ne reçut aucune réponse. Haussant des épaules, il contourna la maison pour rejoindre le jardin et son abri, dans lequel reposait les outils dont il avait besoin pour son office. Quand la jolie fille de madame Hantoni ne souhaitait pas être dérangée - cela lui fendait le cœur de ne pas l'apercevoir - elle laissait la clé du réduit sur la serrure, pour que Kévin puisse venir travailler et repartir sans dépendre de personne. L'adolescent fut cependant surpris de ne pas la trouver à sa place, et rebroussa chemin vers les baies vitrées du salon qui donnaient sur le jardin. Après, un rapide coup d'œil, il ne vit personne. Peu désireux de passer pour un quelconque voyeur, il retourna à la porte d'entrée pour s'annoncer à l'aide de la sonnette vieillotte. Kévin la fit tintinnabuler plusieurs fois sans obtenir de réponse, assez gêné par la situation. Las d'insister, il fit mine de partir lorsqu'il entendit comme une sorte de grattement de l'autre côté du battant de bois. Y collant son oreille, il appela Vanessa, la fille de madame Hantoni. Les griffures reprirent avec un peu plus de force, et il crut déceler une sorte de gargouillis et de borborygme. Soudain particulièrement inquiet - il venait de s'imaginer la jeune femme en difficulté qui espérait l'aide de son héros - il fit jouer la poignée, qui, à son plus grand étonnement, s'abaissa sans résister. Demandant à Vaness’ si tout allait bien tandis qu'il ouvrait la porte, Kévin se retrouva nez à nez avec Romain, le frère aîné militaire de la voisine. Mais au lieu de le saluer, il détailla son allure. Il y avait visiblement un gros problème. Ses yeux étaient tous blancs, et son visage cireux barbouillé d'une bouillie rouge écœurante. Un immense bavoir lie-de-vin s'étalait sur sa gorge et son t-shirt gris, et ses mains étaient également souillées de sang. Kévin crut que son cœur s'était arrêté dans sa poitrine, que son cerveau n'était plus capable de fonctionner. Face à lui, Romain gronda, et fit un bruit de glouglou infâme, comme si sa gorge était emplie d'un liquide épais. L'ado amorça un pas en arrière en tremblant, levant les mains devant lui pour se protéger. En un éclair, le caporal lui saisit le bras gauche et y planta ses dents de toutes ses forces, arrachant un hurlement de douleur à Kévin. Celui-ci envoya un violent kick en retour dans le ventre de son voisin qui fut repoussé en arrière et perdit l'équilibre. Avant qu'il n'ait le temps de se relever, l'adolescent ramena son bras meurtri à lui et s'élança en direction de sa maison, sprintant comme jamais auparavant. Capucine Abadie, Editions Satinvaë, Juillet 2022